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Médiation culturelle

L’ATSA : le parti pris de l’engagement dans l’espace public Publié le : 6 mars 2014

Michel Lefebvre – Mars 2014

D’après une entrevue avec Pierre Allard et Annie Roy, de l’ATSA.

Depuis 1998, les artistes Pierre Allard et Annie Roy font vivre l’ATSA-Quand l’Art passe à l’Action, un organisme sans but lucratif axé sur l’action artistique à des fins sociales. Sur un ton ludique et percutant, ils créent, produisent et diffusent des œuvres et événements transdisciplinaires sous forme d’interventions, d’installations, de performances ou de mises en scène. Dans cette courte entrevue, les artistes font part de quelques réflexions sur l’art engagé, la notion d’éthique et les conditions inhérentes à l’occupation de l’espace public.

Quelle est votre vision de l’art engagé?

[ATSA] – L’art dit engagé naît toujours d’une indignation individuelle de l’artiste face à une situation, d’une envie de faire changer les choses, de faire en sorte que, par la sensibilisation, ça devienne aussi un enjeu pour les autres. L’art engagé doit agir sur le terrain des débats actuels et soulever des enjeux qui concernent la collectivité. Dans la mise en scène de notre pratique artistique, on cherche à susciter le débat dans la rue. Notre engagement est de prendre position dans l’espace public, avec le public.

Comment situez-vous la ligne éthique de vos interventions artistiques?

[N.D.L.R. – En novembre 2013, l’ATSA invitait le public à soumettre des photographies de sans-abri en train de dormir dans l’espace public et le projet a soulevé une controverse.]

[ATSA] – On réfléchit depuis longtemps à la question d’éthique. Le projet photographique Dormir dehors était un projet collaboratif en lien avec un événement public (Fin novembre 2013). On s’était informé auprès de photographes avant sa mise en œuvre et on énonçait clairement les règles de participation, dont celle de ne pas soumettre de photos où l’on pouvait reconnaître la personne itinérante ni le lieu où elle dort. Ensuite, il s’agissait d’un projet mis sur pied à des fins non commerciales. L’intention était avant tout de montrer un phénomène réel dans la société, l’itinérance et l’indifférence à son égard. On a provoqué un débat, mais pas celui qu’on avait choisi. Pour certains, le droit à l’image primait. Alors on a organisé une rencontre de médiation en milieu communautaire et on a mis fin à la participation du public pour arrêter la controverse qui détournait le propos du projet.

L’artiste engagé veut dénoncer l’indifférence. La ligne de l’éthique est fine entre l’acte de provoquer, la provocation, et ce que le monde est prêt à recevoir. En tant qu’artistes, on vient de l’extérieur du milieu communautaire et on peut heurter certains groupes avec des actions qui ne leur semblent pas appropriées. Notre mandat est plus général : on veut alerter le public.

Quel regard portez-vous sur l’occupation de l’espace public?

[ATSA] – L’espace public est devenu un espace convoité pour le tourisme, le divertissement et l’image de la ville. Dans ce contexte, ça peut devenir plus difficile de laisser une place aux événements qui portent une parole sur des sujets qui dérangent. Il faut pourtant que les espaces publics restent un lieu de libre expression, qu’ils ne soient pas réservés uniquement à des événements de masse. On doit parler du droit d’occuper l’espace public et il est important de préserver la création d’événements alternatifs. Il doit y avoir des politiques qui protègent l’accès à l’espace public afin que puissent s’exprimer une diversité de démarches artistiques, même si le programme proposé n’est pas consensuel, à vocation commerciale ou économique. Jusqu’à maintenant, à l’ATSA, nous avons eu plus de peur que de mal, mais il faut demeurer attentif. De nouvelles contraintes d’occupation pourraient facilement nous repousser, comme l’arrivée de nouveaux frais, de critères ou de règlements conçus pour de plus gros événements.

L’un de vos projets a été démantelé prématurément aux Îles-de-la-Madeleine. Quelles leçons en tirezvous?

[N.D.L.R. – En juillet 2013, l’ATSA s’est retrouvée au cœur d’une joute sociale et politique aux Îles-de-la-Madeleine avec un projet portant sur le traitement des matières résiduelles en milieu insulaire. Afin d’évoquer cette problématique avec humour, l’ATSA a greffé aux lampadaires de la rue principale de Cap-aux-Meules des protubérances d’objets provenant d’un dépotoir local afin d’en faire des tumeurs artistiques, comme s’il existait une tumeur des vidanges, d’où le titre du projet, en latin, Tumentia Quisquilae Magdalene. La réaction d’une partie de la population sur la scène municipale et dans les médias locaux a provoqué le démantèlement précipité de l’installation un dimanche matin, suite à un conseil municipal organisé d’urgence.

[ATSA] – Il est toujours plus facile de revenir sur un événement après coup en disant ce qu’on aurait dû faire. A priori, on n’a rien fait de pas correct. Nous avons répondu à un appel de projets du centre d’artistes AdMare, le projet a été choisi et on est allé le réaliser là-bas. On nous a dit que l’obtention des permis d’occupation avait été un peu difficile, mais on ne pensait pas se retrouver au cœur d’un débat public.

Dorénavant, on va poser plus de questions avant d’intervenir dans un milieu méconnu, particulièrement en dehors des milieux urbains. Dans la rue principale qui nous a été allouée pour notre intervention à Cap-aux-Meules, les gens passaient en voiture et ne s’arrêtaient pas. Si le public n’a vu que les images sans prendre connaissance du projet, il a moins pu décoder le message. Mais surtout, notre intervention a été instrumentalisée, à l’aube d’élections, par un conseiller municipal qui a décidé d’en faire un enjeu fédérateur contre le projet, avant même que notre œuvre soit accrochée. Si on l’avait su, on aurait adapté nos communications.

Dans nos projets, on essaie pourtant de donner des clés de compréhension, entre autres pour éviter l’esprit de panique qui peut s’emparer d’une partie de la population ou des autorités face à des actions qui peuvent être provocantes. Parfois, les gens ont tendance à développer une forme d’indifférence à ce qui se passe autour d’eux. Par notre action, on touche peut-être un peu plus leur épiderme, et quand on joue dans ces zones-là, c’est délicat.

Une meilleure préparation du public aurait certainement adouci les réactions. La médiation, c’est de l’éducation, mais l’art dans l’espace public ne doit pas être nécessairement consensuel. L’artiste doit pouvoir rester fidèle à sa démarche et le public a le droit de ne pas aimer une œuvre. Au final, cet épisode a généré des réflexions importantes dans les médias locaux sur « Qu’est-ce que le Beau? – Pourquoi l’Art? » et même sur la peur de l’étranger aux Îles. Pour nous, c’est un succès, car l’art doit exposer ce qui est enfoui et poser des questions. Il y aurait une table ronde à faire là-dessus!

LIENS :

Vidéo documentaire du tournage de l’événement participatif «Qu’est-ce qu’on attend?»
Montréal, 2011. Montage : Geoffroy Beauchemin. Durée : 3,17 min.

Action socialement acceptable (ATSA)
Dormir dehors : le diaporama
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