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Médiation culturelle

L’abcd’Art de la rue des femmes – Profil d’un engagement exemplaire Publié le : 20 janvier 2008

Michel Lefebvre – Janvier 2008

L’artiste Diane Trépanière donne la parole aux femmes de centres d’hébergement. L’ABC d’art de La rue des Femmes, publié en novembre 2007 aux Éditions du remue-ménage est le troisième livre de l’artistes réalisée avec des femmes résidantes et travailleuses de centres d’hébergements.


On ne relate pas souvent d’histoires aussi belles de générosité, d’engagement et de créativité que celle de l’artiste Diane Trépanière auprès des centres d’hébergement pour femmes en difficulté.

En novembre 2007, Les éditions du remue-ménage publient l’ABCd’art de La rue des Femmes, un recueil de définitions de 440 mots écrites par 127 femmes du centre d’hébergement La rue des femmes, des résidantes, externes, travailleuses, intervenantes, stagiaires, membres du conseil d’administration et bénévoles. Invitées à définir un mot de leur choix, toutes nous ouvrent la porte sur leur monde intérieur.

La publication de cet abécédaire survient au terme d’un long processus de collaboration, mais surtout de compréhension, d’écoute et d’acharnement. Plus que ces 440 mots, ce sont les milliers d’histoires qui les définissent que l’on doit souligner à grands traits ainsi que le généreux travail d’accompagnement qui en a forgé l’accomplissement, sous la direction de l’artiste Diane Trépanière avec le soutien de l’organisme Les Filles électriques et du Programme partenariat culture et communauté de la Ville de Montréal.

La graphiste Louise-Andrée Lauzière y signe un travail soigné, ponctué d’interventions typographiques qui enillustrent la présentation. Les définitions défilent par ordre alphabétique, mais quelques mots ou thèmes clés bénéficient d’une présentation spéciale, notamment «Belles et rebelles», un événement lié à la fête des femmes le 8 mars;»Enfant», un sujet souvent douloureux; «Lien», un mot qui rattache à la vie; «Pays», qui évoque le territoire d’appartenance et où l’on retrouve des textes en plusieurs langues; et «Territoire», défini uniquement ici par la photographie comme le lieu habité par ces femmes, lieu de confort et d’anonymat, lieu de contrôle, d’autonomie et de dialogue tout à la fois.

Si certaines femmes ont facilement pris la plume, d’autres ont trouvé l’exercice plus difficile. Pendant douze mois, à toutes les semaines, Diane Trépanière allait à la rencontre de ces femmes pour recueillir leurs mots, chacune dans leur tanière, à la friperie, lors des réunions ou des divers ateliers, dans le jardin ou même à la cuisine pour faire parler la cuisinière pendant qu’elle préparait les légumes. Certaines d’entre elles ont entrepris de se rencontrer lors d’ateliers d’écriture afin d’exposer leurs textes, d’en discuter, de dialoguer.

Dans la préface qu’elle signe dans le livre l’ABCd’art, Diane Trépanière écrit que dès son jeune âge elle questionnait le rôle qu’on attribuait aux femmes dans le dictionnaire de la maison familiale. Les mots devaient pour elle décrire d’autres réalités qui n’y apparaissaient pas. Elle dit qu’alors elle n’a eu cesse, par la pratique de son art, de chercher ces autres réalités.

Vers l’an 2000, après moult réalisations en tant qu’artiste, Diane Trépanière souhaite sortir de la solitude de l’atelier et s’exprimer ailleurs que dans les centres d’exposition qu’elle connaît. À la même époque s’amorce un mouvement de grève des travailleuses des centres d’hébergement qui souhaitent améliorer leurs conditions de travail. Interpellée par cette situation alors qu’elle s’interroge quant à la valeur de ses propres engagements comme artiste, Diane Trépanière entreprend de s’insérer dans cet univers clos du réseau d’aide aux femmes en difficulté.

Afin de préparer cette aventure et de lui assurer un minimum de soutien, moral et financier, l’artiste fait appel aux services de la fondation naissante Engrenage noir, dont le mandat consiste à appuyer les initiatives de collaboration entre des artistes et des communautés marginalisées. Elle assiste alors à des séminaires de formation puis bénéficie de financement pour la réalisation d’un premier projet: un recueil de textes écrits par ces travailleuses des centres d’accueil pour femmes, un livre comprenant aussi des photographies.

Vidéaste, photographe, c’est par l’image qu’elle souhaite d’abord et avant tout les faire parler. Mais on n’entre pas dans un centre d’hébergement pour photographier et faire parler les femmes qui y travaillent ou qui y résident en période difficile. Avant tout, un lien de confiance doit s’établir, et cette relation, selon l’artiste, ne peut provenir que par l’échange. Elle entreprend donc de montrer son travail photographique afin de susciter des discussions, d’approfondir sa connaissance du milieu et gagner leur confiance.

Diane Trépanière parcourt la région de Montréal à la rencontre de ces travailleuses dans divers centres d’hébergement. Dotée d’un écran et de projecteurs à diapositives, elle y présente un montage visuel et poétique afin d’établir une ambiance propice à la création et d’entreprendre un dialogue qui ne s’avère pas toujours aisé.

La voiture qu’elle utilise pour ses déplacements lui est prêtée par sa coiffeuse, Nathalie St-Germain, la même qui coiffe aujourd’hui gratuitement, au début du mois de mai, des femmes de divers centres d’hébergement lors de l’événement «Coiffer pour changer le monde».

Ce premier projet réalisé avec les travailleuses, Des pas sur l’ombre, publié en 2004 par Les éditions du remue-ménage, allait marquer le premier jalon significatif de son engagement dans cet univers particulier.

Diane Trépanière anime déjà depuis quelque temps à La rue des femmes des ateliers où elle initie les femmes aux techniques de la photographie, privilégiant tour à tour le portrait, l’autoportrait, le paysage, le gros plan, etc. Elle organise des sorties, des expositions, publie des calendriers, des cartes de vœux…

C’est donc avec enthousiasme, autant pour elle que pour les femmes qu’elle rencontre, que Diane Trépanière accepte en 2005 l’invitation de D. Kimm, qui dirige Les Filles électriques, de poursuivre son travail auprès des femmes en difficulté. Cet organisme, qui organise le festival Voix d’Amériques, un festival bilingue de poésie orale et performative, souhaite ajouter une nouvelle dimension à ses activités d’expression littéraire et obtient une subvention triennale qui permettra la réalisation, la première année, d’un livre où ce sont les pensionnaires mêmes de la maison Arrêt-Source qui écriront les textes. Ces femmes de 18 à 30 ans, effondrées pour l’une ou l’autre raison et provenant de tous les milieux sociaux, ont toutes en partage une douleur certaine de vivre ainsi qu’une volonté de s’en sortir. Pour qu’elles écrivent enfin, il faudra des heures d’accompagnement, d’ateliers d’écriture, de conversations et de confidences, des heures de partage de vie.

Autant les travailleuses de ce centre que ses pensionnaires auront collaboré à la création de ce livre, Écrire et sans pitié, publié par Les éditions du passage en 2006. Il s’agissait d’inciter à écrire ces femmes qui fréquentent les centres, qui les habitent. Diane Trépanière a su gagner leur confiance, et les Filles électriques ont pu stimuler leur habileté à l’écriture et assurer la publication d’un livre de qualité au graphisme soigné.

Dans la foulée de ce processus continu d’engagement, L’ABCd’art, le troisième livre, apparaît en 2007 comme une œuvre songée, le fruit d’un long processus, d’une absolue sincérité.


 

L’ABCd’art de La rue des femmes
Une initiative de Diane Trépanière
Les éditions du remue-ménage
Collectif, 160 pages, 2007
ISBN 978-2-89091-267-0

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