La danse contemporaine est un art perçu comme faisant partie d’une niche très particulière. Un art difficile d’accès pour qui ne possède pas les codes préalables à une compréhension des œuvres. Le commentaire qui revient le plus souvent chez les spectateurs est sans doute : « Ce n’est pas de la danse ça pour moi ». En tant que médiateur culturel, c’est une perception avec laquelle je tente de travailler quotidiennement. Dans une discipline où le danseur ne bouge pas, où l’immobilité peut être la danse, il faut apprendre à comprendre les silences, les respirations et les vagues de mouvements que le chorégraphe suggère au public. Où commence la danse, où s’arrête-t-elle ?
Le Conseil des Arts du Canada a commandé une cartographie de la danse au Canada, présentée en 2014. Disponible en ligne, on y apprend une foule d’informations pertinentes, notamment les styles de danse pratiqués au pays et une analyse de la pratique de niveau amateur et professionnel. Du côté des amateurs, les chercheurs ne se sont pas arrêtés aux cours de danse, aux heures de répétition et aux activités de consommation de la danse; ils se sont aussi penchés sur les habitudes de danse dans les fêtes entre amis, dans les bars… et dans la chambre à coucher ! Derrière les portes closes de son intimité, entre deux devoirs, avant d’aller au lit, en se levant le matin. On danse pour célébrer, se souvenir, se changer les idées. On ne le fait pas pour en vivre nécessairement (d’ailleurs, très peu de professionnels en danse arrivent à tirer des revenus suffisants exclusivement de leur pratique en danse), mais seulement pour vivre.
Sommes-nous programmés pour la danse ?
Quelque chose de particulier s’opère lorsque nous voyons quelqu’un danser. Plusieurs études démontrent que le spectateur qui regarde une danse voit les mêmes mécanismes neurocognitifs s’activer que ceux de l’interprète en action. Chez le public, on parlera de l’empathie kinesthésique : le public sera en mesure de ressentir de l’empathie pour l’artiste, le thème ou l’œuvre. Chez les professionnels pratiquant la même forme de danse qu’ils observent, on parlera de l’activation des neurones-miroirs, c’est-à-dire l’activation des mêmes sections du cerveau chez le spectateur et chez l’interprète partageant une expérience et un langage communs. On ne parle alors déjà plus d’une participation totalement passive chez le spectateur. Celui-ci est alors dans une observation où il est appelé à ressentir, ou à se demander ce qu’il ressent tout au long de son observation. L’empathie kinesthésique peut aller plus loin et nous faire bouger sur notre siège, en harmonie avec l’œuvre en mouvement sur scène. Il ne faut donc qu’un pas pour impliquer encore davantage le public dans la danse.
Et pourtant, nous nous sentons exclus de l’œuvre. Pourquoi ? Parce que notre expérience ne nous a pas fourni de moments similaires dans notre vie non dansée ; parce que ce style particulier ne nous a jamais intéressés; ou parce que cette façon de bouger ne nous attire tout simplement pas. Par exemple, en la musique, certains chercheurs se sont demandé pourquoi nous pouvions avoir la chair de poule lorsque nous écoutions une œuvre particulière. Nous pourrions penser que c’est en lien avec l’universalité de la musique, la possibilité de comprendre des émotions intégrées à la mélodie. Pourtant, ce n’est pas le cas : il semblerait que plus un être humain a de connaissances en musique, plus il sera à même de ressentir de fortes émotions durant l’écoute. Ce genre d’émotion n’est possible que si notre cerveau est à même de comprendre un crescendo émotif et, surtout, de l’anticiper. C’est l’anticipation, dans ce cas précis, qui serait à la base de la chair de poule.
Transmettre les codes culturels pour dynamiser la participation du public
Il en va, jusqu’à un certain point, de même pour la danse. Par exemple, dans certaines cultures africaines, la danse devient une méthode de vivre ensemble. Plusieurs anthropologues de l’autre siècle ont observé que la danse était suffisamment répétitive et que les danses ritualisées étaient présentées si souvent que l’éducation artistique se faisait de soi. Les membres de la communauté ne la voyaient pas comme une éducation artistique en soi, mais plutôt comme une éducation à la cosmologie du groupe, à leurs croyances et à leurs traditions.
Ce que les anthropologues observaient était une telle participation du public aux danses que la représentation se transformait en véritable fête de village. Bien que la participation était observée comme étant « spontanée », elle était imbriquée culturellement chez les spectateurs qui devaient entrer dans la danse à un moment précis de la prestation. La notion de choix dans la participation devient relative : de par la pression sociale et culturelle, on sent l’« obligation » de participer à la danse. Sans quoi on est alors exclus de la communauté puisque la non-participation est perçue comme un rejet du groupe.
Danser la communauté
Nous avons également au Canada une riche tradition dansée. Les sets carrés, les gigues et les reels font partie de notre imaginaire collectif. Ces pratiques sont encore très vivantes en Europe et en Amérique latine, tandis que notre bagage folklorique vit un renouveau, un remix contemporain. Par exemple, le chorégraphe Sylvain Émard a contribué à ce remix culturel en revisitant le continental ; son œuvre participative, le Grand Continental, a fait le tour du monde et intègre danseurs amateurs et professionnels dans une chorégraphie s’inspirant d’une grande danse communautaire dans l’espace public. La base de ces types de danse traditionnelle est la communauté : on danse pour être ensemble. La danse est un divertissement, certes, mais aussi un moyen de rencontrer, de tisser des liens et de vivre ensemble un moment d’échange.
L’esthétisation de la participation dans l’optique de créer une œuvre, comme c’est le cas avec le Grand Continental, est une pratique plutôt récente. La participation du public dans le but de favoriser le changement social a connu plus de popularité jusqu’à maintenant. La danse pour la justice sociale, pour l’empowerment de communautés exclues et pour l’intégration culturelle ont été des mouvements très forts en Europe, aux États-Unis et au Canada anglais (bien que dans une moindre mesure). On parle alors du « community dance », une forme de participation où la danse devient un outil de développement social et moins un outil de création d’un objet artistique.
Vers de nouvelles pratiques de participation du public?
La participation du public en danse n’en est donc ni à ses débuts ni à sa fin. Elle ne vit pas une période d’adaptation ni un moment de crise. La participation du public en danse est une pratique relativement stable qui change, met à jour ses pratiques et s’adapte autant au public qu’à ses créateurs. La participation est un outil pour les diffuseurs, un objectif pour les pédagogues, une façon de travailler pour certains artistes et une question de débat pour les spectateurs. Participer ou non à la danse reste un choix très personnel puisque le corps, dans notre société nord-américaine, reste du domaine de l’intimité; il ne tient qu’à nous de choisir avec qui, et quand, nous partageons cet abandon.
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